AlienQueen Modo
Nombre de messages : 192 Age : 46 Localisation : Entre deux portes Emploi : Informaticien Loisirs : Ciné, info, philo Date d'inscription : 01/04/2006
| Sujet: Un truc (assez hard) que j'ai écris il y a quelques temps Mar 7 Nov - 2:02 | |
| Le discours de la servitude volontaire
Je vis actuellement dans un pays qui a une longue histoire en matière d'oppression de sa population : trois siècles de colonisation, plus de dix ans de communisme, des républiques toutes plus bananières les unes que les autres et des révolutions à n'en plus finir. L'exploitation de l'Homme par l'Homme y a tout son sens, et à tous les niveaux.
Récemment, un parti d'opposition a voulu organiser “le meeting de la Réconciliation Nationale”. Il s'agissait d'essayer de mettre un terme aux tensions existant entre les habitants des Provinces et les habitants de la capitale depuis les dernières élections. Le président a donné un discours à la télé expliquant qu'à son avis il n'y avait jamais eu de guerre et que donc il n'y avait pas à se réconcilier.
Et pour mieux prouver ses dires, il a envoyé deux unités de la police, deux unités de la gendarmerie et une unité des forces spéciales... Les organisateurs de la manifestation ont préféré éviter le bain de sang et l'ont annulée. Mais réfléchissez bien à cela : l'armée et les commandos pour empêcher un meeting politique.
Dans un autre registre, mais toujours concernant le même homme, sachez que dans mon pays d'adoption, la VoIP est interdite. Pour ceux qui l'ignorent, la VoIP est une technologie permettant (en plus de désenclaver les citoyens) de passer des appels téléphoniques (nationaux ou internationaux) gratuits via Internet. Comme avec le logiciel Skype ou avec une Freebox. Et bien, sachez que le président est actionnaire de l'opérateur télécom historique. Et n'étant pas intéressé par cette technologie, il l'a faite interdire. Ni plus, ni moins.
Pour ce qui est des relations inter-personnelles, maintenant. Mon patron, ce saint-homme, emploie des menuisiers. Exploite serait le mot juste... Vous savez, un peu comme ces Roumains, ces Portugais ou ces Marocains exploités au noir sur les chantiers Français. Quand j'arrive le matin, ils sont déjà au boulot. Quand je sors du bureau, ils sont encore au boulot. Quand je prends ma pause-déjeuner, ils se font un casse-croûte à la colle à bois et au mortier.
Et bien, quelle ne fut pas ma surprise, une fois où je revenais de soirée, de les trouver dormant dans ma cuisine. Mon premier réflexe a été de les virer. Mais ils ont tout de même eu le temps de m'expliquer que M. X (mon patron) leur offrait royalement le sol douillet de ma cuisine pour terminer une journée de travail qui s'était prolongée plus que les autres. Quelle chance en effet de ne pas avoir à rentrer chez soi rejoindre sa femme et ses enfants !
Le lendemain, j'ai discuté avec M. X, lui demandant pourquoi il ne leur avait pas payé les 2 euros de taxi chacun qui leur auraient permis de rejoindre leur lit. Il m'a bien sûr répondu en faisant l'habituel parallèle scandaleux entre la condition canine et la condition humaine. Mais toujours est-il qu'il m'a affirmé qu'étant donné que la maison était une maison de fonction, la cuisine était elle aussi une cuisine de fonction. Et que donc, il n'hésiterait pas à s'en resservir comme telle.
Et je me le suis tenu pour dit, pestant tel un Karl Marx des Tropiques.
Mais quand je suis passé dans la cour, me dirigeant vers ma pause-déjeuner, je suis passé devant mes menuisiers. L'un d'entre eux m'a dit « ce n'est pas vous le patron... » et les autres m'ont regardé en ricanant. E les trois autres fois où je suis passé devant eux cette journée-là, ils ont continué à ricaner.
Ils pensaient avoir gagné. Les serfs se prennent pour des palefreniers sous prétexte que le baron leur offre la grange du chevalier... Vous me direz : « mais c'est leur gagne-pain ! ». Ce à quoi je répondrais qu'ils n'ont justement pas compris qu'ils se trouvaient en position de force et qu'ils auraient pu négocier.
Mais j'ai fait voeu de ne pas tant chercher à être compris qu'à comprendre. Et ce que je comprends, c'est qu'un Homme se juge aussi par rapport à son histoire. Cette histoire que je vous ai rapidement brossée. Alors je ne regrette pas d'être venu ici. Car désormais je sais comment on fabrique les esclaves.
AlienQueen, ou "le courage de dire" | |
|